Ce texte est l’un de mes récits de voyage, intitulé « Jumelle américaine », publié ici au format blog pour vous le faire découvrir, et peut-être vous donner envie d’en lire d’autres ! Il est donc un peu plus long et littéraire que mes articles de blog habituels. Découvrez tous mes récits de voyage, que j’écris depuis 8 ans, et qui retracent mon parcours à l’étranger aux Etats-Unis, en Angleterre et au Portugal. N’hésitez pas à me faire des retours sur ces récits : je suis en train de les organiser dans un manuscrit pour les soumettre à des éditeurs. Toutes vos impressions sont donc les bienvenues !
L’année de mes 26 ans, une chose folle s’est passée : j’ai obtenu un visa pour les Etats-Unis en étant tirée au sort à la loterie de la Green Card. J’y avais participé en rentrant de la côte Est après un stage en 2011, sur les conseils de Claus, un fidèle ami autrichien et compagnon de voyage, qui, après avoir concocté un autre de ses plans ambitieux, m’avait convaincue que nous devions participer en même temps, et que nous aurions peut-être la chance de l’obtenir tous les deux.
Je me souviens encore du jour où j’ai reçu la réponse. Je travaillais à temps plein comme vendeuse au Comptoir des Cotonniers des Galeries Lafayette du Boulevard Haussmann à Paris, mettant chaque centime de côté afin de pouvoir partir écrire trois mois à San Francisco, seule. J’ai reçu un appel de ma mère, et me suis isolée dans le grand cagibi où tout le stock de la boutique était entreposé : “Il y a une lettre des Etats-Unis pour toi, je crois que c’est à propos de ta Green Card”. Mon coeur battait si fort que j’entendais mon pouls battre contre mes tympans. La lettre annonçait que j’étais l’une des 50,000 personnes à travers le monde cette année là, sur un million, à avoir été tirée au sort. J’avais à présent une chance sur deux d’obtenir une Green Card, puisque seule la moitié des personnes tirées au sort ne recevrait le précieux sésame pour de bon, après la constitution d’un dossier complexe, un rendez-vous avec un médecin agréé et un entretien à l’Ambassade américaine six mois plus tard. J’ai passé tous les tests avec succès, un par un, et je me souviens avoir sauté de joie dans les toilettes de l’Ambassade après que l’employé, derrière sa vitre blindé, m’a dit, sans émotion aucune, mais d’un ton solennel : “Félicitations, vous avez une Green Card”.
Un détour par l’Angleterre
Mais au lieu de déménager directement aux USA et de vivre mon rêve américain, j’ai décidé de partir pour un an en Angleterre, pour y suivre mon petit-ami de l’époque et travailler quelques mois dans un pays anglophone proche de la France, avant de traverser l’Atlantique et de me jeter dans le grand bain. L’Angleterre ne devait être qu’une étape, un saut de puce, une infime partie de mon plan de vie. 8 ans plus tard, j’y suis toujours. Je ne suis jamais passée de l’autre côté de l’Atlantique. Je suis restée en Angleterre toutes ces années et j’ai également passé deux ans au Portugal entre temps.
Jamais je n’aurais pensé vivre en Angleterre. Dans mon esprit, partir au Royaume-Uni aurait été comme copier, encore et toujours, l’histoire familiale : trois de mes tantes ont épousé des anglais (l’une d’elles a en fait épousé un écossais, vaste nuance), beaucoup de mes cousins et cousines sont à moitié Anglais de naissance, et j’ai grandi en côtoyant, de loin mais de manière constante, la culture britannique, toujours en arrière-plan de ma vie.
Moi, je voulais faire les choses en grand. L’ Angleterre ? Très peu pour moi. Le pays avait perdu de son exotisme à mes yeux en ayant imprégné ma culture familiale depuis ma petite enfance. C’est bien connu, on rêve toujours de ce qui est différent, de ce que l’on a pas. Pour moi, l’Angleterre n’avait rien de fascinant. Cela se résumait d’avantage à mes tantes que cela n’avait pas dérangé de quitter le Royaume-Uni après quelques années passées là-bas, à mes oncles Anglais qui semblaient heureux de vivre loin de leur mère-patrie, et à mes cousins et cousines qui n’avaient pas l’air si intéressés par le fait de déménager dans leur « autre pays ». Cela voulait surement dire que l’Angleterre n’avait rien de bien attrayant à offrir aux gens, si les natifs et les expatriés n’en voulaient pas. Je voulais de l’aventure, je voulais l’Amérique chantée par Joe Dassin, l’Amérique que l’on veut à tout prix, pour laquelle on est prêt à tout quitter, même les siens. Les vieilles nations et leur politique poussiéreuse ? Certainement pas. J’étais férue de politique américaine et je voulais des républicains qui font leur show démesuré dans des émissions de télévision grand public diffusées sur des chaînes qui leur appartiennent. Je voulais l’Amérique de Barack Obama, celle qui m’a fait rêver que tous les américains ne sont pas des adorateurs de Bush, de la guerre en Irak, de la torture et des anti-mariages gays. Je voulais travailler et vivre à New York ou à San Francisco, me balader dans les rues bordées de buildings démesurés ou de petites maisons de bois colorées comme celles chantées par Maxime le Forestier.
Goodbye Green Card
J’ai donc fini à Londres et à Lisbonne, à vous conter cette histoire, ou plutôt une non-histoire : celle qui raconte comment j’ai presque réussi à partir vivre aux Etats-Unis et comment je suis presque devenue américaine. Avant de m’installer pour de bon en Angleterre, mon idée était de partir vivre aux USA avec ma Green Card et de là, pourquoi pas créer mon blog sur New York, San Francisco, Boston ou n’importe quelle autre ville dans laquelle j’aurais posé mes valises. Mon blog se serait appelé « Une française à New York » ou « Les tribulations d’une parisienne à San Francisco ». Mais voilà : j’ai laissé s’envoler ma Green Card, je me suis trop attardée en Angleterre où finalement, la vie m’a parue bien douce, et j’ai laissé filer mon rêve américain. Aussi, je peux bien l’admettre après toutes ces années : j’ai eu peur. J’aimais les Etat-Unis, mais après plusieurs séjours prolongés dans ce beau pays, j’avais compris quelque chose : c’est un pays où l’on ne vit bien que si l’on a de l’argent. Fraîchement diplômée, sans réelle expérience professionnelle, sans aucun réseau aux Etats-Unis et célibataire, assumer à moi seule le coût de la vie dans une grande ville américaine, sans économies et avec un prêt étudiant sur les bras m’a soudain paru trop risqué. J’en connaissais, des Français qui, souvent partis seuls pour des postes qui s’étaient finalement révélés trop peu payés face au coût de la vie très élevé et à certains employeurs qui n’offraient pas une assurance santé globale (qu’il fallait compléter avec une mutuelle très coûteuse), avaient dû rentrer au bout de quelques mois. Londres était chère, certes, mais j’étais proche de la France en cas de coup dur, et je n’avais pas à m’inquiéter de coûts supplémentaires comme ceux d’une assurance santé ou d’une voiture.
Mon fiasco américain – si l’on peut appeler ainsi quelque chose qui n’a pas eu lieu – m’a forcé à adapter mes rêves à ma nouvelle situation, et à modifier quelque peu mon cheminement vers la recherche du bonheur. Mon rêve ultime, le Saint Graal de mes rêves personnels, c’était d’écrire des livres sur les USA, et d’en exposer toutes les facettes : une française chez l’Oncle Sam, la politique américaine, la culture créationniste, la vie quotidienne aux Texas, comment vivent les cow-boys, les new-yorkais sont-ils obsédés par les burgers ou par la nourriture bio ? Mais une fois mon visa pour les USA perdu, difficile d’écrire sur les Etats-Unis en tant qu’expatriée sur place.
Un rêve par défaut
C’est un Anglais qui m’a donné la solution en 2012, alors que j’habitais encore à Londres. Eric Newby, un écrivain connu pour ses récits de voyage. J’ai découvert ses livres dans ma bibliothèque de quartier à Londres. Sur la couverture, j’ai lu une critique du sérieux quotidien anglais The Independent, qui décrivait Eric Newby en ces mots : « Le Maître des romanciers. Il a transformé le récit de voyage ». J’ai choisi le livre intitulé A short walk in the Hindu Kush, m’attendant à une histoire à la Indiana Jones, celle d’un aventurier courageux bravant des conditions climatiques extrêmes tout en démontrant une bravoure à toute épreuve. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que ce livre était en fait le récit d’un fiasco total, le récit d’un voyage qui tournait au vinaigre, où rien ne se déroule comme prévu, et qui se solde au bout de deux jours par un rapatriement d’urgence.
Lorsque, quelques semaines plus tard, je découvrais que j’avais perdu ma Green Card faute de l’avoir utilisée dans l’année de son obtention et peut-être loupé la chance de ma vie de partir vivre et travailler aux Etats-Unis, j’étais tout d’abord effondrée. Puis j’ai repensé à Eric Newby et à son désastre Afghan. Je me suis dis que moi aussi, je pourrais écrire sur mon fiasco américain et comment mon aventure américaine s’était transformée en aventure londonienne, puis lisboète : l’aventure de ma vie serait en fait celle de ma découverte de différents pays d’Europe que je n’aurais jamais explorés si j’étais partie tout de suite aux Etats-Unis, celle d’un rêve par défaut qui allait devenir une bien belle aventure. Elle allait me pousser à réaliser que la vie ne se déroule pas toujours comme on l’espère, mais que quelque chose de beau et de bon peut naître d’un échec, ou d’un changement inattendu.
Jumelle américaine
Stephen Fry, un acteur et écrivain anglais très prolifique, a écrit un livre sur un road trip américain : il a parcouru les 50 états à bord d’un black cab londonien, et explique dans l’introduction qu’il rêvait de ce voyage depuis des années. Ses parents avaient failli déménager aux USA juste avant sa naissance, et il écrit qu’il s’est toujours demandé ce qu’aurait été sa vie si il était né aux Etats-Unis. Il s’est même inventé un jumeau américain – Brian – à qui il pense de temps en temps, qu’il imagine comme lui, mais avec une vie à l’américaine.
Je me suis souvent demandé ce qu’aurait été ma vie si j’étais partie vivre aux Etats-Unis. J’aurais rêvé d’étudier la socio-anthropologie à Berkeley. Peut-être que j’aurais fait mon doctorat, après tout ? Je me demande si j’aurais élu domicile sur la Côte Est ou sur la Côte Ouest, si j’aurais pris des cours de yoga et récolté mes fruits et légumes chaque semaine dans une ferme bio, comme c’était la mode à Cambridge, Massachusetts, lorsque j’y vivais en 2009. A l’inverse, peut-être que je serais devenue complètement accro à cette culture du service à outrance qui fait que l’on a tout, tout de suite, et que l’on a jamais chaud en été à cause de la climatisation réglée partout à 19°. J’aurais peut-être garé mon SUV automatique sur le bas côté le temps de courir chez Starbucks m’acheter mon iced latte quotidien, que j’aurais calé dans mon cup holder tout en conduisant. J’aurais mangé des corn dogs tous les 4 juillet et des pumpkin pies pour Thanksgiving. Mais la vie ne l’a pas voulu ainsi, et je ne saurais jamais ce que ma jumelle américaine aurait fait de sa vie made in USA.
L’Amérique m’attendra
J’aime décrire des endroits, des atmosphères, j’aime les décrire le mieux possible pour essayer de donner envie aux gens d’y aller à leur tour, ou bien qu’ils aient l’impression d’y être. Essayer de décrire la sensation du vent dans les branches, de l’odeur d’un matin d’hiver, d’une belle lumière qui donne à une rue ou à la mer un reflet merveilleux. Alors j’essaye de me dire que d’être passée à côté de ma Green Card me donne la possibilité de conter le vent, les branches, les odeurs, les lumières, les rues ou les mers de pays que je n’aurais jamais pensé connaître.
J’aime aussi me dire que mes récits de vie et de voyages peuvent, peut être, aider ou inspirer d’autres personnes qui se sont embarquées dans une aventure similaire, leur propre épopée, et qui, même si elles ne regrettent rien, trouveront un peu de réconfort à lire des mots qui leur ressemblent, et qui les aideront dans les moments difficiles. Mais par dessus tout, je me dis que l’Amérique m’attendra, et que mon histoire avec elle est loin d’être terminée. Ces deux mois passés en Californie cet été, mon premier séjour prolongé aux Etats-Unis depuis bien des années, m’a fait réaliser que ma relation avec ce pays est un peu comme les amitiés très fortes : même s’il arrive que la vie nous sépare et que l’on se voit peu, lorsqu’on se retrouve on a l’impression de s’être vus hier, comme si on ne s’était jamais quittés.
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