Une chronique qui cette semaine se penche sur une question cruciale de la vie à l’étranger, et ce quel que soit son parcours ou son ressenti sur la question : celui du mal du pays et du rapport que l’on entretien avec les autres francophones expatriés, que l’on recherche leur contact, qu’on les évite, ou que l’on s’en fiche comme de l’an 40. Une question qui évolue au fil du temps, du moins pour moi.
Un steak-frites, s’il vous plaît !
Vendredi dernier, je suis allée dîner au restaurant avec mon amie Laure, angevine de naissance, elle aussi française expatriée au Royaume-Uni. Nous sommes allées dans un restaurant français de Leicester – Bistrot Pierre, vive les clichés ! – pour manger un steak-frites et boire un petit verre de rouge entre copines. Nous sommes restées plus de 5 heures à papoter. Nous avions réservé une table à 18h30 pour profiter du menu “early diner” (je sais ce que vous pensez… So British, dîner avant 19h ! ), et avons été les dernières clientes à quitter le restaurant, juste avant minuit. Laure et moi ne pouvions plus nous lâcher, deux françaises indéboulonnables que nous étions, à discuter de la vie, de notre travail, de notre vie d’expat, de la France, et du fait que, de plus en plus, nous recherchons le contact d’autres francophones.
Ce dîner avec Laure est venu clôturer une semaine très tricolore pour moi, puisque le mardi, je passais l’après-midi à travailler avec Camille, une illustratrice très talentueuse, expatriée française en Angleterre elle aussi (vous allez en entendre parler à nouveau, car nous vous concoctons ensemble un joli projet pour l’Allée du monde !). Le mardi soir, je passais la soirée autour d’un apéro dinatoire chez moi avec une collègue française de mon mari, qui, pour mon plus grand plaisir, est arrivée avec un grosse boîte variété de thés Lipton, rapportée de France la veille. Le jeudi, j’ai pris le train jusqu’à Birmingham pour discuter avec Cristina d’Expat Heroes (à surveiller également, elle m’a interviewée il y a quelques semaines dans le cadre de ses podcasts expats, et nous nous verrions bien travailler ensemble à nouveau), une autre expat française de talent expatriée dans mon coin d’Angleterre. La semaine dernière, je me suis donc volontairement jetée dans un tourbillon français, et en repensant à la Gabrielle d’il y a 7 ans, qui discutait avec Laure de ses vues sur le fait de fréquenter d’autres Français, je ne peux pas m’empêcher de remarquer un contraste pour le moins… saisissant. Une discussion très intéressante à avoir avec Laure en particulier, puisqu’au moment de notre rencontre, je lui tenais le discours exactement inverse sur mon rapport à la France, aux autres Français et au mal du pays.
Jeunes années expats
Je me souviens très bien de la première fois que j’ai rencontré Laure à Londres, au moment où je m’installais au Royaume-Uni et commençais mon premier poste dans le marketing. Laure rentrait tout juste de lune de miel. Elle avait une bonne longueur d’avance sur moi dans sa vie en Grande-Bretagne, puisqu’elle venait de se marier avec un Anglais, 6 ans après être arrivée en Angleterre pour ses études. J’étais quant à moi fraîchement débarquée de France, et entamait ma première vraie expatriation sur le long terme. Ma seule vraie expérience de vie à l’étranger se résumait jusqu’alors à des voyages effectués à travers l’Europe ou au Canada pendant les vacances universitaires, et deux séjours de quelques mois aux Etats-Unis. Cette fois-ci, je posais mes valises pour de bon à Londres, et Laure y a été ma première amie française.
Je me souviens clairement d’une discussion que nous avons eu pendant l’une de nos premières pauses-déjeuner, attablées dans la cuisine de notre entreprise. Laure, toujours à l’écoute et ouverte, m’avait demandé combien de temps je comptais rester à Londres, et si je pensais rentrer en France un jour. Je me souviens clairement de ma réponse : “Je ne sais pas encore combien de temps je resterai au Royaume-Uni, mais je sais que je ne rentrerai jamais en France”. Laure m’expliqua alors que la France lui manquait souvent, et que même si elle comptait bien faire sa vie ici, au Royaume-Uni, côtoyer davantage de Français lui ferait plaisir. Je me souviens du sentiment d’étonnement que j’ai ressenti, répondant du tac au tac que je fuyais plutôt les autres Français, et que j’étais là pour m’intégrer, et améliorer mon niveau d’anglais. Ce dont je me souviens en fait le plus concernant cette discussion, c’est de la conviction profonde que de ne pas vouloir côtoyer d’autres francophones était la bonne chose à faire pour tout expat qui se respecte, et, je dois l’avouer, que j’éprouvais une pointe de supériorité. Aujourd’hui, 7 ans après cette discussion, je comprends que pour certains, comme moi, le rapport au mal du pays et à la France est une chose qui évolue, avec l’âge et avec le temps. Comme Laure, je n’ai pas pour projet de retourner en France, mais nous sommes maintenant sur la même longueur d’onde concernant un autre aspect : celui des expats qui sont ravies à chaque fois qu’elles croisent un francophone dans leur pays d’accueil, et qui complotent autours de leur steak-frites sur le meilleur moyen de créer le groupe Facebook des Français de Là-Où-Nous-Vivons. Pour preuve, la discussion de 15 minutes que nous avons eu ce soir là au restaurant avec Audrey, la serveuse française du Bistrot Pierre, débarquée de Troyes il y a 20 ans. Nous avons papoté avec Audrey toutes les trois, comme si nous étions de vieilles copines, simplement parce qu’elle était française aussi.
Retour aux sources
Je ne dis pas que toute personne qui vit à l’étranger ressent cette envie, à un tournant de sa vie expat, de côtoyer d’autres francophones. Chacun est différent. Aussi, Laure et moi avons toutes les deux des amis non francophones dans nos vies à l’étranger. Ce n’est pas que nous refusions activement de nous lier d’amitié avec des non français, c’est simplement que souvent, les rapport me semblent un peu plus profonds avec des gens qui parlent ma langue maternelle. Je pense aussi que Laure et moi éprouvons ce sentiment de manière un peu plus exacerbé parce que nous vivons en dehors de Londres (oui, le hasard a voulu que nous déménagions toutes les deux à Leicester à deux ans d’intervalle. Je sais, what were the chances comme diraient les Anglais !), dans une ville où les autres Français se font plus rares que dans la capitale. N’empêche que, au même titre que le steak-frites ou le verre de Merlot, le fait de pouvoir passer une soirée à discuter en français me fait, de plus en plus, me sentir chez moi, et me donne le sentiment de me trouver sur un petit ilôt familier. Il y a quelques semaines, je me suis remise à lire en Français, chose que j’avais abandonnée depuis bien des années, et à réécouter de la chanson française également. Vous croyez que c’est l’âge ? La nostalgie d’un pays que j’ai quitté car, je l’admets, il m’agaçait fortement par certains aspects, et avec lequel je me réconcilie grâce à la distance ? Ou bien l’habitude de la vie expat qui après quelques années devient “la vie de tous les jours”, avec sa routine, loin de l’effet de nouveauté et des émois des premières années d’installation ? Mon mal du pays, mon rapport à la France, cette chose qui évolue au fil du temps, et qui n’a pas fini de me surprendre, je crois.
Et vous, votre semaine ?
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Vous avez raté les papotages précédents ? Pas de panique, ils sont par là :
Haha je me retrouve beaucoup dans ce que tu écris, et je complèterais ta phrase « les rapport me semblent un peu plus profonds avec des gens qui parlent ma langue maternelle. » par « les gens qui partagent ma langue maternelle, ma culture, et mes références culturelles! »
Juste parler et se faire comprendre sur toutes les références culturelles et d’éducations qu’on a pu avoir en France, sans prise de tête, sans incompréhension, c’est comme un petit sas qui fait du bien à un Français à l’étranger (selon mon point de vue)
Bonjour Alice, et merci beaucoup pour ton commentaire ! C’est tout à fait vrai en ce qui concerne la culture et les références culturelles… Elles rendent simplement les rapports plus simples. Et on oublie à quel point lorsqu’on vit à l’étranger, jusqu’à ce que l’on se retrouve à passer une soirée avec d’autres Français/francophones et où ces choses nous reviennent en mémoire !
Ils sont super tes articles sur l’expatriation, je lis toujours avec beaucoup de plaisir, bien que je ne sois plus expat depuis plus de 2 ans maintenant !
Merci beaucoup Leslie, c’est adorable ! Vraiment ! Je suis ravie que mes articles te plaisent, où vivais-tu à l’étranger ? A très bientôt, Gabrielle
Bonjour Gabrielle, je me retrouve parfaitement dans cette description. J’habite à Northampton et bien que n’ayant jamais voulu complètement me dissocier de la France à mon arrivée, je prends de plus en plus de plaisir à partager des moments entre francophone. Je m’y sens beaucoup plus naturelle et comme toi (entre expats on se tutoie, n’est-ce pas) j’ai vécu cette expérience de papoter avec des parfaites inconnues comme si nous nous connaissons depuis 20 ans, juste parce que nous partageons la même expérience. Pour information, il y a une communauté française autour de Milton Keynes et une école le samedi matin pour nos enfants. Je sais que Leicester est un peu loin mais nous avons eu des familles de Rugby…
Bonjour Claire, c’est drôle comme ces choses-là évoluent parfois avec le temps ! Je suis contente de lire que je ne suis pas la seule à ressentir ça 🙂 Je n’ai pas d’enfants mais je crois bien que j’ai une amie française dans la région qui emmenait ses enfants dans cette école du samedi, ils aimaient beaucoup ! Je trouve ça super de pouvoir connecter les enfants aux deux cultures comme ça 🙂 A très bientôt ! Gabrielle